5ème Directive LCB-FT : Quels enjeux opérationnels pour les établissements bancaires ?

La 5ème Directive LCB-FT1 s’inscrit dans une démarche réglementaire initiée depuis les années 90 visant à consolider le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Comme cette directive n’introduit pas d’obligations ou de concepts foncièrement nouveaux, elle a pu être considérée comme un simple aggiornamento, destinée à combler les manques de la précédente.

Nous prenons ici l’exemple de deux mesures de la 5ème Directive liées aux pays tiers à haut risque et aux pays tiers équivalents, les deux catégories de pays tiers qui sont respectivement la plus risquée et la moins risquée en matière de risques BC-FT. Derrière des ajustements en apparence mineurs, les enjeux de mise en œuvre ne sont pas anodins, et peuvent se révéler, selon les établissements, assez lourds.

Pays tiers à haut risque, des mesures de vigilance harmonisées et complétées

Il s’agit de pays dont le dispositif de LCB-FT présente des défaillances stratégiques au point de faire peser une menace significative sur le système financier international. Ces pays sont identifiés à la fois par le GAFI2 et la Commission européenne. La 4ème Directive imposait déjà aux établissements bancaires des obligations renforcées de vigilance à l’égard de la clientèle pour les transactions impliquant ces pays tiers à haut risque, tout en laissant aux pays membres de l’UE la liberté de préciser dans le cadre de la transposition nationale les mesures de vigilance à appliquer.

Avec la 5ème Directive, ces mesures sont maintenant non seulement harmonisées, mais aussi complétées.

Ainsi, pour les relations avec les personnes établies dans un pays à haut risque :

  • La décision de nouer ou de maintenir la relation d’affaires est prise par un membre de l’organe exécutif ou toute personne habilitée par ce dernier.
  • Des informations supplémentaires à la connaissance du client et, le cas échéant, de son bénéficiaire effectif sont recueillies selon une approche par les risques, telles que la nature de la relation d’affaires, l’origine des fonds et du patrimoine du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif, ainsi que l’objet des opérations envisagées ou réalisées.
  • Une surveillance renforcée de la relation d’affaires est mise en œuvre en augmentant le nombre et la fréquence des contrôles réalisés et en adaptant les critères et seuils en fonction desquels les opérations doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi.

À l’égard des 3 dispositions ci-dessus, le dispositif à mettre en place pour la clientèle établie dans des pays tiers à haut risque sera similaire au dispositif applicable aux Personnes Politiquement Exposées (PPE)3. Or dans la plupart des grands groupes bancaires, les dossiers impliquant des PPE parmi les personnes associées du client, sont d’abord analysés par les équipes conformité, qui évaluent les risques liés à la création et/ou au maintien de la relation d’affaires, avant de les soumettre pour validation aux responsables métiers. Et même si l’on peut facilement anticiper que les membres de l’organe exécutif auront largement recours à la délégation pour la décision relative aux dossiers avec des personnes établies dans un pays à haut risque, les principes de ségrégation gouvernant le processus de décision, exigent que la personne habilitée fasse partie de la même équipe. Par conséquent, la mise en application de cette disposition de la 5ème Directive entraînera une charge supplémentaire de travail à la fois pour les métiers (dont le temps passé sur ces dossiers sera forcément au détriment des autres tâches, créant ainsi un risque d’impact sur l’activité commerciale) et pour les équipes conformité (qui, très souvent, sont déjà submergées par le nombre élevé des dossiers à traiter).

Un autre impact opérationnel significatif concerne la fréquence de mise à jour de la liste des pays tiers à haut risque. En effet, cette liste est composée par l’addition des listes de GAFI et de la Commission européenne. La première est mise à jour trois fois par an, alors que la seconde n’a pas de fréquence fixe. Toute mise à jour de la liste consolidée par les banques doit donc engendrer une requalification du stock des relations d’affaires et, pour celles entrant dorénavant dans le périmètre des relations devant faire l’objet d’une surveillance renforcée, des actions de remédiations sont à envisager. On peut rapprocher cette situation de ce que les banques connaissent déjà à chaque fois que les listes PPE sont modifiées en masse après chaque élection. Ainsi, il convient pour les établissements de prendre en compte un « paysage réglementaire » qui nécessite de plus en plus de gérer de forts à-coups. Pour obtenir l’agilité nécessaire, les établissements devront améliorer leur système de planification et de suivi des tâches récurrentes et qui peuvent être anticipées.

Pays tiers équivalents, main libre aux établissements pour évaluer l’équivalence

L’autre conséquence « géographique » de la transposition française de la 5ème Directive est la suppression de la liste officielle des pays tiers équivalents. Contrairement aux pays tiers à haut risque, les pays tiers équivalents (PTE) sont des pays non membres de l’Union européenne dont les obligations en matière de LCB-FT sont considérées comme « équivalentes » à celles appliquées au sein de l’UE. La réglementation prévoit un nombre d’allègements à l’égard de la clientèle établie dans ces pays-là. À titre d’exemple, un premier paiement depuis un compte ouvert dans un pays tiers équivalent peut faire partie des mesures de vérification de l’identité des clients à l’entrée en relation.

La liste des pays tiers équivalents était jusqu’ici établie par un arrêté du ministre en charge de l’économie. Désormais, ce seront les établissements financiers qui évalueront eux-mêmes l’équivalence des obligations en matière de LCB-FT des pays non membres de l’Union, tout en tenant compte des informations et déclarations diffusées par le GAFI et la Commission européenne. Bien entendu, les établissements devront être en mesure de justifier auprès des autorités de contrôle de leur analyse.

Les options à disposition des établissements bancaires pour faire face à ce défi varient en fonction du volume des dossiers concernés par les PTE.

Certains établissements bancaires, en particulier ceux avec une clientèle internationale, appliquent déjà des listes internes de classification des pays à des fins de KYC. Dans ces listes, les pays sont classés, selon une méthodologie propre à l’établissement, en différents niveaux (autrement appelés « niveaux de sensibilité pays ») en fonction de leurs risques en matière de LCB-FT. Le niveau de sensibilité de chaque pays est reflété dans la grille de scoring, qui, sur la base des éléments du dossier KYC, attribue un niveau de risque à la relation d’affaires. Ainsi, le fait que le client soit constitué, ou que son activité soit générée dans un pays sensible, rajoute des points au score. A l’inverse, les pays considérés comme peu sensibles, n’ont pas d’impact sur le score. S’ils veulent capitaliser sur ces listes internes pour déterminer, en absence d’une liste officielle, eux-mêmes les PTE, les établissements bancaires devront revoir la méthodologie de classification des pays, afin d’y intégrer les documents diffusés par le GAFI4 et les éventuelles recommandations de la Commission. Les PTE seront alors identifiés parmi la catégorie des pays peu sensibles (sans impact sur le score) en excluant les pays membres de l’UE et de l’espace économique européen, non tiers par définition. Ainsi, les établissements auraient une seule liste servant de base à la fois au score KYC et aux mesures allégées des PTE, tout en étant conformes aux attentes du régulateur.

En revanche, pour les établissements bancaires qui ne disposent pas d’une liste interne de classification des pays, ainsi que pour ceux disposant de liste mais ayant des contraintes à l’utiliser à d’autres fins que le score KYC, une autre option serait de créer une liste des PTE dédiée uniquement à la mise en œuvre des mesures allégées par la réglementation. Cette option entraîne la mise en place d’un projet consacré à l’élaboration d’une nouvelle méthodologie pour l’identification des PTE à partir des résultats des évaluations du GAFI et des recommandations de la Commission. Il faudra, bien entendu, assurer pour la suite la prise en charge de la veille réglementaire et de la maintenance de la liste.

Quant aux établissements bancaires avec des faibles volumes de dossiers concernés, une option serait de faire recours à des solutions de mutualisation pour la création et le maintien de la liste des PTE, afin de répartir entre plusieurs établissements les coûts associés à la veille et à la maintenance.

Enfin, si les mesures allégées des PTE concernent trop peu de clients par rapport à leur coût de mise en œuvre/maintenance, on peut aussi choisir de ne pas les appliquer, ce qui reviendrait à considérer qu’il n’y a pas de pays équivalent hors UE.

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Pour conclure, l’analyse des impacts des deux mesures ci-dessus, sélectionnées à titre d’exemples, montre que les établissements bancaires ne sont pas au même niveau face aux défis imposés par la mise en œuvre de la 5ème Directive. Il est donc important pour les établissements de réaliser un état des lieux précis et une analyse d’impacts complète afin de prévoir les projets à mener. En fonction de leur dispositif existant et de la nature de leur clientèle, dépendent aussi l’ampleur et la charge de travail nécessaire pour la mise en conformité avec les nouvelles exigences réglementaires.

Guillaume Soubelet
Associé de Fincley Consulting
guillaume.soubelet@fincley.com/old2023

Gjergji Xhafo
Consultant
gjergji.xhafo@fincley.com/old2023

1. La directive n°2018/843 du 30 mai 2018, dite 5ème Directive LCB-FT, est entrée en vigueur le 9 juillet 2018 et a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 (et ses décrets d’application n° 2020-118 et n° 2020-119)
2.  Groupe d’action financière, organisme intergouvernemental qui établit les normes internationales pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
3. Le Code Monétaire et Financier définit la Personne Politiquement Exposée (PPE) comme « une personne qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives qu’elle exerce ou a exercées pour le compte d’un État ou de celles qu’exercent ou ont exercées les membres directs de sa famille ou des personnes connues pour lui être étroitement associées ou le devient en cours de relation d’affaires. »
4. Les deux documents principaux du GAFI sont les recommandations, (les normes internationalement approuvées au niveau mondial contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme) et les rapports des évaluations mutuelles. Les évaluations mutuelles – volet fondamental des travaux de GAFI – consistent à un examen approfondi pendant 14 mois du système LCB-FT de chaque pays par une équipe multinationale d’évaluateurs. A la fin de l’examen, les évaluateurs rédigent un rapport avec leurs conclusions et des notations sur l’état du système et le respect des recommandations du GAFI. Le projet de rapport est mis à la disposition de plus de 200 pays, alors que le rapport final est adopté lors de la plénière, en présence de tous les membres et observateurs du GAFI. Le calendrier des évaluations est publié sur le site de GAFI.
By |2021-04-16T08:19:05+00:0021 septembre 2020|Publications|