Course à la taille et transformation digitale… Les plateformes dédiées aux CGPI se transforment pour leur offrir toujours plus de services et de produits. Avec des conditions d’accès qui se resserrent.
La trajectoire de Nortia a de quoi étonner : en 25 ans, la plateforme est passée d’un statut de simple courtier grossiste nordiste à celui de numéro un des plateformes « indépendantes » dans l’univers pourtant très concurrentiel de la gestion de patrimoine. D’abord en séduisant année après année de nouveaux partenaires CGPI grâce à un back office réactif et une offre de produits innovants réalisés souvent en co-construction avec les assureurs. Puis en 2018, avec le rachat, à quelques mois d’intervalle, de deux autres grandes plateformes : d’abord Sélection 1818 à Natixis Wealth Management, puis en fin d’année, Aprep-Diffusion, la plateforme d’AG2R La Mondiale. « Nortia a choisi la voie de la concentration : l’atteinte d’une taille critique est nécessaire pour continuer à innover et rentabiliser les investissements », déclarait ainsi en décembre Philippe Parguey, directeur général développement de la plateforme qui gère désormais 12,5 Md€ d’encours (9 Md€ en assurance vie et 3,5 Md€ en compte-titres) pour le compte de plus d’un millier de CGPI.
Les plateformes pour CGPI, ensemble hétéroclite où l’on trouve les grandes compagnies d’assurance vie, mais aussi des acteurs indépendants ou issus de la distribution elle-même, se transforment à vitesse grand V, à l’instar du métier de CGPI d’ailleurs. Contraintes d’un côté par l’accumulation de réglementation (MIF2, DDA et Priips notamment), elles doivent aussi répondre aux demandes des CGPI toujours plus exigeants en matière de digital et de services.
Des « supermarchés » de produits financiers
« Les plateformes sont devenues incontournables pour les CGPI», affirment Rolando Quintas et Fayçal Redjeb, senior managers chez Périclès Group, le cabinet qui établit chaque année le fameux classement des back office (voir interview ci-contre). Il est parfois difficile de faire le distinguo avec des groupements de CGPI qui proposent une offre large et des services d’accompagnement… mais avec une différence de taille : la plupart du temps, ces derniers imposent une forme d’exclusivité en échange de la fourniture de ces services. Les plateformes ne formulent a priori aucune exigence : tels des « supermarchés », elles sont ouvertes à tous et les CGPI peuvent venir y faire leurs « courses »… s’ils possèdent le fameux code, sésame qui donne accès aux produits et permet d’obtenir les rétrocommissions. Il est même recommandé de «s’approvisionner» auprès de plusieurs plateformes : une façon de prouver son indépendance, tout en continuant à toucher des rétrocommissions, constate un observateur du marché. Les principaux acteurs du marché reconnaissent que les bons cabinets de CGPI travaillent souvent avec deux à trois, voire quatre plateformes.
Pour autant, il est réducteur de limiter les plateformes pour CGPI à de simples supermarchés de produits financiers où l’assurance vie serait placée en tête de gondole. « Les plateformes sont des acteurs intermédiaires entre les CGPI et les producteurs. Elles sont multiproduits et parfois multifournisseurs (plateformes ouvertes) », explique ainsi Karine Gineste, partner assurance chez Fincley Consulting.
Leadership des plateformes d’assurance vie
On distingue deux catégories de plateformes : d’abord, celles des compagnies d’assurance vie, les plus actives sur le terrain pour la simple raison que l’assurance vie représente encore plus de 60% de l’activité des cabinets de CGPI en moyenne. Chaque assureur dispose de sa plateforme parfois identifiée différemment de la compagnie : Vie Plus pour Suravenir, Oradea pour Société Générale Insurance, Intencial pour Apicil, UAF Life Patrimoine pour Crédit Agricole Assurances, etc. Ou parfois sous la même marque : Axa Thema pour Axa, Generali Patrimoine pour Generali, Swiss Life Assurance et Patrimoine, BNP Paribas Cardif, etc. Si ces plateformes d’assurance vie sont « mono fournisseur » (la compagnie), elles revendiquent une architecture ouverte pour les sociétés de gestion : leurs contrats référencent généralement des centaines d’unités de compte d’assets de tous horizons. De plus, bien souvent, un fonds peut être référencé après analyse à la demande du CGPI. Chez Swiss Life Assurance et Patrimoine par exemple, ce qui plait aux CGP, à en croire Éric Le Baron, directeur général, c’est la largeur de l’offre avec beaucoup de produits structurés, des fonds patrimoniaux protégés en volatilité, et de la pierre-papier avec Swiss Life Reim. « Nous avons aussi fait le pari des mandats de gestion avec la délégation de gestion qui marche bien », rajoute-t-il. Enfin, pour les gros courtiers ou gros cabinets de CGPI, Swiss Life propose des fonds dédiés surmesure pour ses contrats luxembourgeois. Les plateformes d’assurance vie revendiquent également d’être multi-produits. Au-delà de l’assurance vie française, elles proposent souvent aussi des contrats luxembourgeois, des contrats de capitalisation, voire de plus en plus de prévoyance. Plus récemment encore, elles tendent à s’ouvrir à d’autres produits financiers comme des comptes-titres ou du crédit, souvent issus d’une société du groupe : Axa Banque pour les produits bancaires d’Axa Thema, Gresham Banque pour Intencial. Autre exemple : Generali Patrimoine pourrait se mettre à développer des produits de diversification.
Les « indépendantes » multiproduits et multifournisseurs
A côté de ces ténors de l’assurance vie, les plateformes multiproduits et multifournisseurs se sont bâti une belle place au soleil. A commencer par Nortia, désormais au premier plan de ces plateformes indépendantes. On trouve aussi d’autres
acteurs comme Crystal Partenaires qui vient de se rapprocher de la plateforme bancaire Finaveo ou encore CD Partenaires et Primonial Solutions, chacune offrant une palette de produits allant de l’assurance vie à l’immobilier en passant par les produits bancaires. Mais pour un cabinet de CGPI, au-delà de l’éventail de produits, quel est l’intérêt d’une plateforme? Sa valeur ajoutée réside surtout dans l’accompagnement des cabinets, comme l’explique Karine Gineste : « Elles offrent aux CGPI des outils et services (notamment digitaux) permet tant de sécuriser leur activité et de les accompagner dans le devoir de conseil». En d’autres termes, en passant par une plateforme, les cabinets de CGPI ont accès à de nombreux services d’ingénierie patrimoniale et financière qu’ils ne pourraient peut-être pas s’offrir… surtout pour les plus petits cabinets. Ainsi chez Oradea Vie, les CGPI bénéficient du soutien des experts du département ingénierie patrimoniale et gestion de fortune qui conçoivent des produits sur-mesure. Chez Vie Plus, l’objectif est de proposer « une boite à outils qui accompagne les CGPI », explique Anne-France Gauthier, sa directrice commerciale (voir interview). A l’instar de la plupart des acteurs, la plateforme de Suravenir propose une cellule d’ingénieurs patrimoniaux. Loin de faire doublon avec les services déjà existants dans des groupements ou des gros cabinets, c’est un service complémentaire. Les juristes peuvent ainsi confronter leur interprétation. Il faut dire aussi que pour bien des cabinets, les services d’ingénierie patrimoniale des plateformes servent parfois de roue de secours pour suppléer l’absence prolongée de l’unique ingénieur patrimonial ou même pour intervenir sur un contrat en plein mois d’août.
Des « middle office » du quotidien
Enfin, les plateformes accompagnent de plus en plus le CGPI au quotidien et deviennent des sortes de « middle office » assurant la gestion courante des contrats d’assurance vie et des réclamations, notamment en cas de succession ou mettant à disposition des outils marketing. Sans parler de la gestion des commissionnements, services bien appréciés des CGPI. Pour arriver à un tel niveau de services, les plateformes sont en pleine transformation digitale. A l’instar de BNP Paribas Cardif qui « va digitaliser toutes les opérations d’ici fin 2019 », nous confiait Pascal Perrier, directeur de l’activité CGPI et courtiers chez le bancassureur qui a investi 17 M€ dans le projet (Gestion de Fortune n° 298, décembre 2018). Si la course à la digitalisation a commencé depuis longtemps sur la souscription en ligne ou les versements, c’est désormais au tour des arbitrages en ligne de se généraliser. Un chantier titanesque. Du côté des rachats partiels ou totaux, certains assureurs traînent encore la patte. Les plateformes ont aussi un rôle d’animation et d’information et cultivent la proximité avec les cabinets par des événements et rencontres: le «Thema Lab» réunit chaque mois un panel de CGPI pour réagir sur des innovations, explique Clément Lescat qui chapeaute Axa Thema depuis début 2018 (voir Gestion de fortune n° 295 septembre 2018). Generali Patrimoine réunit régulièrement son «Club experts » (voir interview de Sonia Fendler dans Gestion de fortune, n° 291 avril 2018), Nortia organise tous les ans son Université, pour ne citer qu’eux…
L’envers du décor
Derrière cette course à la séduction, il y a un envers du décor. « Certains assureurs qui « traitent » en direct avec les CGPI envisagent peu à peu d’abandonner cette activité estimée trop coûteuse », affirme Philippe Parguey de Nortia. Du coup, ces compagnies d’assurance de plus en plus sélectives délèguent aux plateformes le rôle de «filtre». Elles opèrent des contrôles sur les dossiers transmis parles CGPI, garantissant ainsi une production de qualité pour les producteurs », indique ainsi Karine Gineste. Mais cela ne s’arrête pas là : les plateformes elles-mêmes deviennent de plus en plus sélectives et certaines commencent à fermer la porte aux CGPI partenaires peu « actifs » : réaliser une affaire nouvelle dans l’année ne suffirait plus, il en faudrait au moins trois ou quatre. Un coup dur pour les plus petits cabinets, les premiers visés, qui voient déjà depuis quelques années leur marge fondre au soleil.