Annoncée depuis des années comme une révolution, la promesse d’un modèle bancaire du futur, l’Open Banking prend finalement forme, aidé à la fois par les évolutions réglementaires, l’essor des nouvelles technologies et de nouveaux acteurs ainsi que les nouvelles attentes du client.
D’abord réticentes à la perspective de perdre l’exclusivité de leurs données, les banques traditionnelles se sont finalement emparées du sujet, convaincues qu’il présente également pour elles des opportunités. Nous présentons ici ces opportunités dans le cadre du cycle de vie du crédit.
Après la frilosité du début, place aux opportunités
La mise en conformité DSP2 représente un chantier estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros pour les banques françaises. Même si certaines banques utilisaient déjà des API internes, elles doivent aujourd’hui « API-ser » vers l’extérieur leurs systèmes d’information, ce qui entraîne de multiples conséquences organisationnelles et opérationnelles (organisation des phases de tests avec les futurs utilisateurs de leurs API, mise en place de nouveaux reportings, notamment sur les connexions des tiers via les API, modification des outils de gestion de la fraude, mise en place d’obligations en termes de service client, remboursements, analyses à postériori, gestion réclamations…).
Au-delà des défis de la mise en œuvre, les banques craignaient une forte attrition : les données clients, captées gratuitement par des fintechs ou néo-banques, donnent aux dernières la possibilité de proposer des produits sur mesure et un parcours client plus fluide car nativement digital. Sauf que rien n’oblige les banques traditionnelles à n’être que fournisseurs de données. Elles ont donc construit une stratégie consistant à obtenir l’accès aux données de leurs clients dans les autres établissements. Avec environ un tiers de clients multi-bancarisés, et un éclatement progressif de la relation vers des acteurs spécialisés (apps de paiement de type Lydia ou Pumpkin, conseillers financiers comme Yomoni, plateformes de crowdfunding…), les banques traditionnelles, déjà riches de leurs propres données clients, ont tout intérêt à y agréger des données externes pour construire une vision à 360° de leurs clients et leur proposer ainsi les meilleurs produits et parcours.
L’activité de crédit présente des opportunités très intéressantes pour les établissements bancaires à l’ère de l’open banking.
À commencer par les modèles de score, qui grâce à l’intégration des données de paiement des clients, récupérées via les API, et aux nouvelles techniques d’IA comme le Machine Learning, sont rendus encore plus performants en prédisant mieux la capacité et la volonté de remboursement des emprunteurs. Différentes fintechs, à l’image de Younited Credit ou Bridge créé par Bankin, mettent désormais à disposition des banques des modèles de score, mais aussi de détection de fraude et catégorisation, basés sur des algorithmes d’IA leur permettant de traiter un grand nombre de données hétérogènes récupérées via l’historique des comptes bancaires et de fournir des réponses en quelques secondes. Grâce à l’IA, la performance des modèles de score et de risque est améliorée de 30-40% par rapport aux modèles plus classiques. L’expérience client est, elle aussi, améliorée : au lieu de scanner des documents justificatifs de ses revenus et dépenses ou d’autres crédit en cours, il suffit maintenant pour le client de donner son consentement pour la collecte et l’exploitation de ses données pour avoir, dans des délais plus courts, une réponse à sa demande.
Par ailleurs, le traitement des données bancaires des demandeurs de crédit rend possible de mieux estimer la probabilité de défaut, ce qui permet d’avoir une structure de délégation et de tarification plus différenciante qui renforcera également la robustesse du provisionnement IFRS 9.
Une fois le crédit octroyé, l’analyse des données de paiement des emprunteurs pendant la durée du prêt permet également de renforcer la capacité des établissements à identifier des changements structurels pouvant impacter le profil de risque, mais aussi mettre en évidence des opportunités d’accompagnement financier anticipé et adaptées à des usages en évolution.
Un autre avantage consiste dans la gestion des NPL (Non-Performing Loans ou prêts non performants). Après détection d’un défaut caractérisé, l’orientation vers différents processus de recouvrement en fonction des profils emprunteur permettra d’optimiser l’allocation des dossiers vers les différentes équipes de gestion des NPL, mais également de construire des scores de recouvrement et des estimateurs de pertes attendues de type LGD (Loss Given Defaut ou perte en cas de défaut) beaucoup plus précis.
En cas de cession de créances ou de titrisation le meilleur profilage des emprunteurs grâce aux nouvelles données autorisera d’une part un regroupement plus homogène des créances pour l’institution cédante, et d’autre part une analyse plus précise des potentiels de récupération pour les acheteurs potentiels et donc une lisibilité accrue des prix.
De manière plus générale, le meilleur profilage et la meilleure tarification ouvre la voie à une plus grande inclusion bancaire permettant aux banques d’aller cibler des segments de clientèle qui avaient jusqu’ici plus de difficultés à souscrire des crédits, car automatiquement catégorisés comme très risqués par des systèmes de scoring trop basiques. On pense ici à des auto-entrepreneurs, indépendants, nouveaux résidents ou autres clients avec peu d’ancienneté bancaire.
Enfin, en matière de crédit, l’open banking permet aussi aux banques d’élargir les canaux de distribution. À titre d’exemple, les plateformes de crédit peuvent être reliées à un site d’agences immobilières afin d’améliorer la souscription de prêts.
Le manque de recul sur les algorithmes, un point d’attention pour les années à venir
Les algorithmes sur lesquels se basent les nouveaux modèles de score ne sont pas exempts de biais algorithmiques. En s’appuyant sur des techniques de machine learning basées sur des données historiques, les algorithmes peuvent renforcer des biais du passé liés à des données comme le genre ou le lieu de résidence. A titre d’exemple, un taux plus élevé peut être injustement proposé à un habitant d’une commune défavorisée, simplement parce que le modèle a appris à appliquer une certaine pondération au code postal de cette commune (tout comme un taux plus faible par rapport à sa situation financière personnelle peut être proposé à un habitant des beaux quartiers de Paris).
Autre point d’attention consiste à être prudent quant aux corrélations établies par les algorithmes. Chez Younited Credit par exemple, ils se sont aperçus qu’à profil équivalent, les emprunteurs qui répondaient à l’enquête de satisfaction à la fin du processus de demande de crédit, étaient plus risqués que ceux qui ne répondaient pas1. Si l’algorithme à base de machine learning intègre cette information dans le modèle du score, un demandeur de crédit très volontaire à répondre aux questionnaires de satisfaction serait pénalisé par la proposition d’un taux plus élevé par rapport à son réel profil de risque.
Par ailleurs, dans la perspective de mise en œuvre de la DSP2 pour les entreprises, il y aura un temps de latence entre le moment où l’on récupère des dizaines de millions de données par jour et le moment où l’on sera capable de détecter des signaux faibles et pertinents. Côté modèles IA, il reste encore quelques défis concernant l’affinage des données pour les TPE/entrepreneurs, à savoir faire apprendre aux modèles à différencier les transactions effectuées à titre particulier de celles à titre professionnel.
Enfin, le rôle accru des fintechs, et surtout leur positionnement d’interlocuteurs privilégiés des clients finaux dans l’ère de l’open banking, pose le risque pour les banques de perdre le contrôle de la relation client. Elles seront vite amenées à faire des choix stratégiques pour éviter ce risque.
Conclusion
Malgré les points d’attention mentionnés ci-dessus, l’open banking représente une opportunité significative, pour les banques. Particulièrement dans l’activité de crédit, l’open banking permet aux banques de réduire le coût de risque, d’étendre le périmètre de crédit vers des segments de clientèle pas suffisamment exploités jusqu’ici et de multiplier les canaux de distribution. Enfin, c’est aussi une bonne occasion pour revoir en profondeur les infrastructures technologiques et répondre aux nouvelles exigences des clients autour d’une expérience utilisateur personnalisée.
Guillaume Soubelet
Associé de Fincley Consulting
guillaume.soubelet@fincley.com/old2023
Gjergji Xhafo
Consultant
gjergji.xhafo@fincley.com/old2023
1. Témoignage du co-fondateur de la société lors de l’édition 2020 AI for Finance