Il y a bientôt 30 ans, Bill Gates lançait la déclaration audacieuse « Les services bancaires sont indispensables, pas les banques ». Si l’on s’en tient strictement aux chiffres récents, pas de nuage à l’horizon : les banques continuent d’enregistrer des résultats record. Or personne n’ignore que les banques sont concurrencées de toutes parts, notamment sur leurs points faibles, avec des acteurs adressant les aspects individuels de l’expérience bancaire et offrant de meilleures propositions de valeur.
En effet, bien que les banques se transforment, les changements apportés par la banque de détail, le sont principalement en réponse à des changements réglementaires, plutôt que dans le cadre de l’imagination délibérée de ce à quoi pourrait ressembler la banque gagnante du futur.
Ainsi, si les concurrents ont pu émerger, c’est parce que leur offre correspond aux besoins réels des clients. C’est donc en proposant des solutions porteuses d’un meilleur service et d’une efficacité accrue, que des acteurs réussissent à occuper le terrain laissé vacant par les banques traditionnelles. En effet, en se spécialisant sur certains produits ou segments, les concurrents sont capables de concentrer leurs efforts pour proposer les meilleures offres possibles, tant en termes de modèle opérationnel, de marketing, de pricing que de parcours. Or l’ambition de ces acteurs ne se limite pas aux terrains de niches, se focalisant sur un produit ou un segment. Bien souvent, elle vise à terme à posséder la relation bancaire dans sa globalité.
Il est donc grand temps de challenger la création de valeur offerte par les banques traditionnelles. Et cela est d’autant plus vrai pour le segment des jeunes adultes de 18 à 30 ans, pour qui la valeur ajoutée des banques traditionnelles n’est pas toujours limpide.
La relation des jeunes adultes avec la banque
Dans une France qui vieillit, les 18-30 ans représentent 15 %1 de la population, soit 10 millions de clients. Aussi, cette population se renouvelle chaque année écartant les risques de saturation sur ce segment. Par ailleurs, si les jeunes adultes présentent un PNB annuel moyen de 50 à 200 €2 par personne, celui-ci peut être multiplié par 10 à l’âge adulte si tant est que les banques parviennent à maintenir leur relation avec eux.
La loyauté des clients découle de la valeur ajoutée apportée par les banques telle qu’elle est perçue par les clients. Or l’adoption numérique étant relativement élevée chez les jeunes adultes, la relation bancaire se fragmente encore plus rapidement pour le segment des 18-30 ans que pour le reste des segments de clientèle si la banque n’est pas en mesure de répondre à ce besoin.
Ainsi ce déclin de la fidélité des clients fournit un contexte parfait pour les entreprises qui cherchent à entrer dans le secteur bancaire en se concentrant sur les segments les plus rentables. Certains concurrents ont ainsi démontré que, même s’ils ne peuvent pas rivaliser avec les données que possèdent les banques traditionnelles, ils peuvent rivaliser efficacement sur l’expérience client proposée, couplée à une tarification agressive.
Ainsi on constate que pour ouvrir leur compte courant, 74 % des jeunes choisissent la banque de leurs parents. Or 53 % d’entre eux ouvrent un compte auprès d’une seconde banque avant leurs 30 ans, le plus souvent en raison de l’attractivité des tarifs et de la qualité de l’expérience utilisateur.
Mais plus édifiant encore, lorsqu’interrogés sur la valeur ajoutée des produits et services proposés par leurs banques, plus de 25% d’entre eux ne savent pas répondre car ils ne connaissent ni le contenu de l’offre à laquelle ils ont souscrit, ni le prix qu’ils paient pour les services proposés ou utilisés. A titre d’exemple, les services inclus dans les cartes hauts de gamme ne sont que très peu utilisés, ainsi 72% des 18-30 ans ne font qu’un usage classique de leur carte alors qu’ils sont 40% à détenir une carte premium.
Cette méconnaissance des tarifs et des services proposés par les banques met en avant le rejet des jeunes adultes de produits décrits en termes techniques sans aucun lien explicite avec les situations concrètes qu’ils peuvent rencontrer et dans lesquelles les banques pourraient leurs être utiles. En effet, les investissements en marketing sont traditionnellement concentrés sur la construction de la marque et l’augmentation de la fidélité : une marque réputée est synonyme de confiance et de sécurité et devient un fossé, offrant une protection contre les nouveaux entrants dans le secteur. Aujourd’hui, ces fossés que les banques ont construits sont néanmoins plus susceptibles de limiter leur propre progression que de les protéger de la concurrence.
En effet le sentiment général partagé par les jeunes adultes, est que les banques s’adressent fortement à eux dans leur communication, notamment digitale, or elles ne les aident pas réellement. Elles jouent en effet uniquement un rôle de gardien de l’argent qui leur est confié, sans activement les aider à atteindre leurs objectifs, à identifier les opportunités de rentabilité et ainsi à préparer l’avenir. Ainsi 71% des jeunes adultes souhaiteraient bénéficier de plus de conseils personnalisés pour la gestion de leurs finances et 65% souhaiteraient bénéficier de plus d’informations sur l’actualité bancaire pouvant les impacter.
Les banques pourraient donc actionner les leviers en leur possession pour créer de la demande, à travers l’éducation des jeunes aux produits financiers. En permettant aux jeunes adultes de choisir et de maîtriser les produits et les services dont ils bénéficient, les banques pourraient ainsi susciter l’intérêt des jeunes pour améliorer leur taux d’équipement et ainsi les aider à mieux préparer l’avenir.
En ce sens, on peut noter le fort intérêt de ce segment pour les produits connexes qui croît à mesure de l’âge. Ainsi les forfait 0 soucis, les cashbacks, la compensation en Co2 et les produits liés à la sécurité du logement suscitent un intérêt croissant de cette population.
Au-delà de la tarification, la fluidité des parcours et la facilité de prise en main des produits est un facteur à valeur de fidélisation fort. Plus de 20% des 18-30 ans ayant répondu à l’étude consultent l’application de leur banque chaque jour, or 47 % n’en sont que peu ou pas satisfaits. Ainsi les banques qui sont en mesure de proposer les bons produits et services de manière attrayante et compréhensible via l’application bancaire s’imposeront aux côtés des FinTechs et des banques numériques et resteront pertinentes à l’avenir.
La tendance au dégroupage dans les services financiers est bien engagée, mais la question de savoir où elle mènera reste ouverte. Les banques ont ici beaucoup à jouer afin d’adapter leur approche et leur offre aux besoins réels de leurs clients, et plus particulièrement les jeunes adultes. D’après les ressentis partagés par les 18-30 ans, on peut néanmoins facilement conclure que des opportunités de croissance au sein du segment des jeunes adultes pourraient venir d’une approche très classique : leur apporter de la valeur.
Comment les banques peuvent agir pour apporter de la valeur aux jeunes adultes ?
Bien que la perception d’apport de valeur soit spécifique à chaque individu, certaines évolutions permettront aux banques de se mettre en position de mieux cerner et adresser les besoins des jeunes adultes, et ainsi faire de leur offre un atout clé pour permettre aux jeunes adultes de réaliser leurs objectifs financiers.
- Parler concret et informer
Les jeunes adultes ont du mal à s’identifier à l’offre des banques et peinent à comprendre les produits et services à leur disposition. Cela est notamment dû au fait que l’offre est souvent décrite sans aucun lien avec les situations réelles que peuvent rencontrer ces jeunes clients. Ainsi plutôt que de communiquer sur la diversité de l’offre et sur ses aspects techniques, il est bien plus pertinent de la décrire sous forme de cas concrets. Ainsi les jeunes adultes pourront bien plus facilement s’identifier à l’offre qui leur est faite et comprendre la valeur ajoutée qu’apportent les produits proposés par leur banque.
En somme, il s’agit de parler aux clients de leurs besoins (interrogations, envies, inquiétudes…), et non de l’offre proposée afin de la rendre à la fois plus tangible et intelligible. Aussi, cela permettra de mieux guider les jeunes adultes dans une phase critique de leur vie, au cours de laquelle leurs besoins vont être amenés à évoluer avec l’entrée dans la vie professionnelle et les éventuellement les premiers évènements de vie tels que la fondation d’une famille ou encore l’achat de leur premier logement.
- S’intégrer dans la vie quotidienne
Au-delà de l’offre bancaire classique, les banques peuvent faire la différence en s’intégrant dans le quotidien de leurs clients. En effet, pour répondre à leurs besoins et les accompagner au mieux dans la gestion de leurs finances et de leurs actifs, les banques peuvent coupler l’offre de produits classiques à celle de produits connexes, apportant de la valeur. Ainsi on pourrait par exemple imaginer des forfaits 0 soucis (remplacement des clés en cas de perte, accès à un réseau de serruriers en urgence) couplés aux offres de crédit immobilier ou de crédit à la consommation pour l’équipement de leur foyer.
En proposant des produits connexes qui adressent directement des situations auxquelles les jeunes actifs sont régulièrement confrontés, les banques peuvent apporter de la valeur en allant au-delà de l’offre classique, purement bancaire. La banque devient ainsi le partenaire de confiance dans l’aventure qu’est l’entrée dans la vie d’adulte et peut conserver cette relation privilégiée avec ses clients tout au long de sa vie en poursuivant l’accompagnement des besoins réels de ces derniers.
- Mieux comprendre et anticiper les besoins
Agir en réaction aux besoins exprimés par les jeunes adultes est un premier pas. Or si les banques veulent attirer et fidéliser cette population, de leur premier emploi à leur première maison et au-delà, elles doivent impérativement développer des capacités analytiques leur permettant de bénéficier d’une meilleure perception des besoins et envie de leurs clients pour :
- Prédire les prochains événements de la vie et les besoins associés pour orienter les recommandations de produits bancaires personnalisés.
- Développer une compréhension approfondie du contexte et du style de vie des clients afin de générer des points de contact pertinents.
- Identifier et utiliser les canaux et typologies de communication les mieux adaptées à chaque type de message.
Les banques performantes, seront celles qui sauront tirer parti d’un meilleur accès aux données des clients. Cela leur permettra ainsi d’offrir des expériences réellement différenciées et avant-gardistes, allant potentiellement au-delà de l’offre de produits et services purement financiers en sachant anticiper les moments clés de la vie de leurs clients.
En conclusion
Pour que les banques se mettent en capacité d’apporter de la valeur aux jeunes adultes, elles doivent impérativement faire évoluer les mentalités et adopter une approche de banking as a service. Ainsi, elles pourront évoluer au-delà des produits bancaires classiques, proposer de nouvelles offres et ainsi apporter des expériences personnalisées à leurs clients.
Multiplier l’offre de produits purement financiers ne permettra pas aux banques de séduire et d’entretenir leurs jeunes clients. Averses au superflu, ces derniers veulent pouvoir choisir et maîtriser les produits et les services dont ils bénéficient et payer le prix juste de ce qu’ils consomment. Si l’on ne leur donne pas les moyens de comprendre l’offre, leur relation de défiance et de remise en question vis-à-vis des banques traditionnelles ne pourra que croître. Ainsi, il faut plutôt rendre concrets les produits et services proposés et leur intégration dans le quotidien des jeunes adultes, afin de leur apporter de la valeur et d’ainsi gagner leur confiance en tant que partenaire à leurs côtés.
Cet article repose sur une enquête réalisée en collaboration avec Alexandre De Courdoue, Alexandra Doulain, Margaux Dubayle, Aymeric Sallet et Jules Tellermann, élèves du MSc Stratégie, Conseil et Organisation de l’ESCP. Dans ce cadre, 130 personnes âgées de 18-30 ans ont répondu à un questionnaire en ligne relatif à leurs habitudes bancaires et à leur perception de la valeur ajoutée apportée par les produits et services bancaires. Les chiffres/indicateurs mentionnés dans l’article sont basés sur les réponses obtenues dans le cadre de l’enquête sauf indiqué autrement.
Lena Mazzoleni
Manager de Fincley Consulting
lena.mazzoleni@fincley.com/old2023
1 Chiffres INSEE 2022
2 Revue banque, « Profil des 16-29 ans : Que veulent les jeunes clients des banques ? », https://www.revue-banque.fr/archive/profil-des-16-29-ans-que-veulent-les-jeunes-client-LYRB08296