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PANORAMA DES SOLUTIONS DE MUTUALISATION DU KYC : 2- Les ambitions contrariées des acteurs de l’information financière

« Entre captation des gains de productivité, pouvoir de contrôle sur les prix et problématiques de confiance et de risque de réputation, les freins à l’adoption se sont révélés nombreux pour les institutions financières. »

Détectant le besoin des établissements financiers de mutualiser les données KYC (Know Your Customer), des acteurs privés se sont lancés dès les années 2000 dans la conception de bases de données communes. L’idée derrière ces bases de données est de proposer une externalisation complète du processus de KYC : depuis le sourcing des données (obtenues auprès de la banque, par interfaçage avec des registres du commerce, ou encore par une plateforme permettant d’interagir directement avec les clients), jusqu’à la cotation du risque du client en fonction de critères définis par la banque, en passant par l’analyse et le contrôle des pièces et des informations.

La solution Counterparty Manager de IHS Markit

Markit, société leader de services d’information financière, a développé, dans le cadre d’une joint-venture avec Genpart, une solution permettant d’externaliser tout ou partie du processus KYC : kyc.com. La solution offre la possibilité aux clients corporate de collecter et stocker l’ensemble de leurs informations KYC. Une fois les informations collectées, la solution réalise une série de diligences, notamment sur la liste des personnes politiquement exposées (PPE), sur les informations négatives en rapport avec le client ou sur la liste des sanctions et/ou personnes sous surveillance.

Cette phase vise à établir le profil de risque du client. Enfin, la solution donne aux établissements bancaires et financiers souhaitant entrer en relation avec le client l’accès aux informations et aux résultats des diligences. Le client conserve un contrôle total sur les informations qu’il met sur le portail. Un rapport complet est d’ailleurs disponible à tout moment, permettant ainsi aux clients de voir quelles sont les informations qui ont été utilisées par la ou les institutions financières ayant accès à leurs profils.

La solution est aujourd’hui intégrée au sein du service Markit Counterparty Manager (MCPM). Ce service a vocation à gérer l’ensemble de la documentation nécessaire à l’entrée en relation avec l’établissement financier en collectant et gérant les informations fiscales et réglementaires (EMIR, FATCA, MiFID 2…) et donc les informations KYC.

Des solutions similaires ont été développées par d’autres acteurs privés comme Thomson Reuters après le rachat de Clarient et Avox en 20171.

Un attrait indéniable du point de vue des coûts, mais des freins à l’adoption forts et nombreux

Malgré les gains de productivité induits par ces solutions, les établissements bancaires n’ont pas massivement adhéré aux solutions offertes par les acteurs privés. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer.

L’une d’entre elles réside dans le caractère privé de ces grands acteurs de l’information financière. En effet, ils permettent une mutualisation des diligences qui seraient sinon dupliquées dans les différents établissements, et dégagent donc des gains de productivité. Mais, acteurs privés, ils gardent pour leurs propres actionnaires une partie significative de ces gains. De plus, le processus KYC est, du point de vue des règles européennes, un processus critique et réglementaire : l’outsourcing vers un tiers doit donc être très encadré et contrôlé. Opérationnellement, il est très consommateur en ressources spécialisées et donc très difficile à réinternaliser en cas de changement de stratégie (ou de défaillance du fournisseur) : cela donne à ces fournisseurs une capacité à augmenter les tarifs crainte par les établissements.

Une autre raison porte sur la confiance. Les banques, mais surtout les clients qui confieront leurs données KYC, doivent être extrêmement en confiance compte tenu de leur sensibilité (informations relatives à l’identité, aux revenus, au patrimoine ou encore à la résidence fiscale). L’acteur privé doit également être suffisamment robuste afin d’avoir la capacité de maintenir les systèmes d’informations et d’offrir un haut niveau de sécurité.

Enfin, une dernière raison pourrait venir du manque de standardisation. Chaque acteur dispose de ses propres normes et exigences en matière de données de KYC et de documents à fournir. Ainsi, le standard déterminé par les fournisseurs ne correspond jamais à 100% à celui de chaque établissement.

Ces différentes raisons apportent des éléments d’explication au constat actuel : les solutions proposées par le marché n’ont pas obtenu l’adhésion espérée. De grands groupes bancaires se sont désengagés de certaines solutions ou ont revu leurs ambitions en termes de périmètre externalisé. Certains acteurs ont été obligés de revoir leur position. Ainsi, Bloomberg a décidé de retirer sa solution – Bloomberg Entity Exchange – du marché à compter du 30 septembre 2019. Chez Markit, l’extension vers les corporates amorcée avec kyc.com a été stoppée et la solution Counterparty Manager est aujourd’hui très centrée sur les acteurs de l’industrie financière comme clients les uns des autres.

En dehors des acteurs de l’information financière, d’autres entrants tentent de se différencier en se focalisant sur un type de clientèle et en proposant une externalisation qui ne se limite pas au processus KYC, mais intègre toute la chaine de valeur. C’est par exemple la direction prise par IZNES, une plateforme paneuropéenne d’investissement de parts d’OPC et de tenue de registre des fonds, qui s’appuie sur la technologie Blockchain de la start-up londonienne SETL. L’objectif est de fournir aux acteurs concernés (investisseurs, sociétés de gestion, distributeurs, conseillers en gestion de patrimoine…) un accès facile, transparent et sécurisé aux parts de fonds. Le service s’étend de l’entrée en relation avec les investisseurs (dont le processus KYC), au passage d’ordres de souscriptions-rachats jusqu’au dénouement des opérations et à la restitution des positions2.

Par rapport à la blockchain vue précédemment, les acteurs de l’information financière ont proposé assez tôt une solution opérationnelle, intégrée et avec une gouvernance centralisée du modèle de données et des transpositions des exigences réglementaires. Néanmoins, cette gouvernance centralisée pose la question de l’adaptation des établissements au standard défini par la plateforme. Mais plus encore que la question de la standardisation des données, il semblerait que ce soit le statut même de ces acteurs qui pose problème à des établissements qui sont déjà très dépendants d’eux sur de nombreux autres services. Ainsi, entre captation des gains de productivité, pouvoir de contrôle sur les prix et problématiques de confiance et de risque de réputation, les freins à l’adoption se sont révélés nombreux pour les institutions financières. Arrivées plus tardivement, les plateformes créées et pilotées par des consortium de banques semblent bénéficier d’une meilleure dynamique, que nous verrons dans le prochain article de cette série.

Guillaume Soubelet Associé de Fincley Consulting

Guillaume Soubelet
Associé de Fincley Consulting
guillaume.soubelet@fincley.com

Cyril Colotroc Consultant Fincley Consulting

Cyril Colotroc
Consultant Fincley Consulting
cyril.colotroc@fincley.com

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